Mais enfin, qui es-tu Jérémie Graine ?
Disons le nettement, la vie de Jérémie Graine est une tragédie, une succession de malheurs si régulière qu’elle en devient comique. Dès sa naissance, il sent les doigts glacés, fourchus, griffus et poilus de la mort sur son tout petit cou (tout petit parce que c’est un bébé. Il ne s’agit pas d’une malformation). Les chirurgiens l’ouvrent en deux comme un poulet, posent un gros bouchon en plastique sur le trou qu’il avait dans le cœur et le condamnent ainsi à connaître la vie avec sa cohorte d’humiliations, de souffrances et de repas à la cantine scolaire. Ses parents lui donnent le nom d’une douleur physique (j’ai la migraine… Ah ah ah.) et comme si cela ne suffisait pas pour détruire définitivement son équilibre psychologique, il obtient son bac à 14 ans.
S’avouant vaincu par le destin, il décide de s’abandonner à la malédiction qui le poursuit : il choisit la carrière de comédien. Son premier professeur de théâtre, le célèbre Laurent Lafitte, figure paternelle castratrice, l’écrase de son ombre tutélaire. Inexorablement attiré par la noirceur et la souffrance, il épuise son petit corps fragile et son esprit délicat en multipliant les formations : Ecole Florent, Ecole du cirque Annie Fratellini, Ateliers du Sudden Raymond Acquaviva, stages d’écriture, de poterie… Sa vie de saltimbanque lui fait connaître les moquettes trop moelleuses des plateaux de doublage, les lumières trop fortes des grandes salles parisiennes pour le théâtre classique ou la cuisine trop subtile des cantines de tournage. En travaillant avec le Palmashow, il sent de nouveau les doigts glacés, fourchus, griffus et poilus de la mort sur son cou normal (forcément, puisqu’il a grandi), en manquant mourir de rire à plusieurs reprises.
Après quelques années passées à… faire des trucs de comédien comme jouer Scapin au Théâtre du Gymnase et au Théâtre du Roseau (Avignon), ou codiriger une compagnie, dans un dernier élan désespéré pour échapper à son destin funeste (alors que pour mémoire, quelques années auparavant, il s’ était avoué vaincu par lui et s’était abandonné à la malédiction qui le poursuivait en devenant comédien), porté par l’énergie lumineuse de la joie, Jérémie Graine décide de sauter dans l’inconnu (youhou quel foufou ! ) en partant à la rencontre de lui-même : il crée son premier one man show, « Jérémie Graine à l’étroit dans sa tête (sauve le monde et vous apprend la vie en toute humilité) ».
Le doigt de Dieu fait une clef de bras aux doigts glacés, fourchus, griffus et glabres (elle s’est enfin rasée) de la mort et le miracle se produit : dès sa première scène ouverte, il est remarqué par Aurélie Bouquet qui devient sa collaboratrice artistique. Dès lors, sa vie se transforme : toutes les portes s’ouvrent (même celles qui étaient murées), il fait ses débuts au cinéma devant la caméra de Tonie Marshall, perd enfin sa virginité et des milliers de papillon multicolores viennent se poser chaque soir dans sa chambrette pendant que des lutins facétieux dansent et chantent autour de son lit pour l’endormir.